A qui profite l’aide au développement ?

 

Cet été, lors d’un congrès d’économie, j’ai rencontré une femme extraordinaire.

Elle s’appelle Magatte Wade et est fondatrice de deux entreprises : une de boissons à base de bissap (boisson traditionnelle d’Afrique de l’Ouest) et une de produits de beauté, également à partir de produits africains.

Née au Sénégal, formée en France et en Allemagne, elle a développé son business aux Etats-Unis où elle vit actuellement.

 

Cette sénégalaise porte cependant en elle le désir profond de développer son pays d’origine.

Loin d’être une ingrate expatriée, Magatte exporte des produits qu’elle produit au Sénégal.

Elle crée de la valeur autant pour ses clients que pour ses employés, en Afrique.

Elle tend des ponts entre le Sénégal et l’Occident… chose que peu réussissent à faire.

 

Vous voulez nous aider ? Arrêtez !

 

Lorsque je l’ai rencontrée, elle donnait une conférence sur le développement en Afrique.

Elle commença par cette question : « Qui connait un pays qui est devenu riche grâce à l’aide au développement ? »

Silence dans la salle.

« Normal, il n’y en a aucun. Un pays se développe en produisant et en entreprenant… et non pas en recevant de l’aide. L’Afrique ne se développera pas en recevant des cadeaux. »

On pouvait sentir une ambiance lourde dans la salle… Comme si un coup de massue avait été donné sur l’ensemble de nos consciences.

Il faut dire qu’il y a quantité de politiciens qui mettent un point d’honneur à délivrer chaque année de l’aide pour les pays pauvres.

De l’aide qui, selon elle, ne fait qu’empirer la situation.

Il s’en est suivi une suite de faits… qui m’ont profondément marqué et m’ont fait revoir tous mes standards éthiques et moraux.

En premier lieu, il y a le constat de l’échec : dans la plupart des pays dits « pauvres » les aides coulent mais rien ne change.

En vérité… plus l’aide arrive, moins ça change.

Magatte a expliqué les raisons et c’est d’une évidence économique tellement banale que je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu ne pas le voir.

 

La solidarité qui élève

 

A la base, une aide est là pour des cas exceptionnels.

On aide nos amis lorsqu’ils ont perdu leur travail, ont subi un décès, un accident ou souffrent d’un trouble passager.

Devant l’adversité soudaine d’une situation, l’amitié et l’aide nous permettent de remettre debout quelqu’un, pour qu’il reprenne contrôle sur sa vie.

La solidarité est passagère. Elle sert à élever quelqu’un pour qu’il retrouve sa liberté et son indépendance.

La solidarité qui maintient dans la dépendance au lieu d’élever est néfaste.

C’est exactement ce qui se passe dans l’aide au développement que nos pays ont mis en place pour aider certains pays d’Afrique.

On délivre gratuitement des biens… créant ainsi une dépendance funeste de ces gens envers ces services.

Magatte m’a dit, en insistant bien fortement, que l’aide est indispensable lorsqu’il y a des désastres : guerre, tsunami, tremblements de terre…

Dans ces situations, les gens ont un besoin urgent d’aide car leur vie est dévastée par un événement qu’ils ne peuvent pas prévoir.

Les gens, dans nos sociétés, le comprennent bien. C’est lors de ces événements qu’ils donnent volontiers de l’argent.

Mais après il faut que cela cesse !

Or nos Etats prennent le relais de la solidarité volontaire et entretiennent cette industrie de l’aide.

 

L’aide automatique tue l’économie

 

Elle nous a donné l’exemple d’Haïti… qui est une terrible tragédie.

Cela fait huit ans que le séisme a eu lieu… et les ONG sont toujours là à déverser l’aide internationale.

Comment voulez-vous qu’un agriculteur haïtien reprenne son travail lorsqu’il est en concurrence avec une ONG qui délivre de la nourriture gratuitement ?

Bill Wirtz, que j’ai interviewé il y a quelques semaines, me racontait cette anecdote d’un parlementaire européen : « Quand j’étais au Burkina Faso, j’ai commandé du poulet et on m’a dit qu’il n’y en avait pas aujourd’hui parce que l’avion en provenance de France n’était pas arrivé. »

Car le pire c’est que les ONG donnent exactement le genre de produits que les gens, sur place, pourraient créer eux-mêmes : chaussures, charpentes, nourriture… tous les produits de base sur lesquels se construisent peu à peu une économie !

Comme le dit l’économiste africaine Dombisa Moyo dans son livre « L’aide fatale » : « l’aide maintient l’économie dans un état de paralysie… [car] l’argent n’est pas utilisé pour des activités économiques durables en Afrique » [2]

Magatte me confiait : « Imagine, tu es un enfant africain qui grandit dans un tel contexte. Quelle est l’image que tu as de toi-même et de tes proches ? Nous sommes des récipients de l’aide, cantonnés à un rôle de mendiants. »

L’aide au développement, en s’inscrivant dans la longueur, détruit l’esprit d’initiative des gens.

Mais la raison pour laquelle ces ONG continuent leur travail, malgré les preuves d’inefficacité, c’est que c’est un vrai business !

Des quantités d’emplois de riches occidentaux sont garantis par l’entrée perpétuelle d’argent étatique pour le « développement ».

Mais cette aide n’est évidemment pas le seul problème.

 

Un problème institutionnel

 

Magatte a insisté aussi sur un autre point : l’Afrique a un grave problème politique.

Les droits de propriété ne sont pas respectés ou même reconnus.

Les exemples foisonnent : les gouvernements vendent des parcelles de terrain gigantesques pour des entreprises étrangères, sans se soucier des « propriétaires » locaux.

L’Etat de Droit n’est donc pas mis en place : aucun enregistrement, aucune reconnaissance de la propriété des gens.

Quand il y a une reconnaissance de propriété, c’est souvent un enfer bureaucratique corrompu et coûteux pour y parvenir. C’est pour ça que la plupart de l’économie se fait au noir…

Et quand vous obtenez des garanties et une reconnaissance, vous avez encore le risque de voir ces biens expropriés et non reconnus par le prochain gouvernement.

Le contexte légal est donc instable, incomplet et fait tout pour empêcher les entreprises de prospérer.

En réalité même si les médias parlent avec emphase des investissements internationaux (chinois, européens, américains, …) c’est, au contraire, d’un manque d’investissements que souffre l’Afrique.

Car c’est un investissement risqué…

 

Les multinationales préfèrent investir en Asie ou en Australie qu’en Afrique… même s’il y a d’immenses richesses à exploiter. Les investissements de capitaux privés pour l’Afrique sont ridicules en comparaison.

 

Une vision biaisée du problème

 

Toutes ces réflexions sont présentes dans le documentaire Poverty Inc que je vous invite vivement à visionner. [3]

Ce qui est dingue c’est qu’en Occident on a une vision biaisée du problème qui nous empêche de voir la réalité des choses.

Tout est ramené à notre passé (et présent) colonial, pour augmenter notre sentiment de culpabilité et nous faire cracher de l’argent par milliards sur des gens qui ne demandent qu’à entreprendre et à prendre leur indépendance.

Dans le documentaire, ils parlent même d’un « néocolonialisme » par l’aide et les bons sentiments !

On maintient des situations de corruption et de dépendance qui sont malsaines et contraires à toutes les leçons de l’histoire concernant le développement.

En parallèle, les pays que nous laissons faire comme la Chine ou l’Inde, ont fait sortir plus d’un milliard de personnes de la pauvreté en deux décennies.

On blâme les entreprises internationales qui essaient d’investir dans les pays africains alors qu’on devrait différencier les cas de corruption et de capitalisme de connivence, des cas légitimes et profondément bénéfiques pour l’économie locale.

Et puis cela devrait aussi nous interroger sur les mêmes aides au développement (principalement pour des infrastructures) que nous versons aux pays de l’Est à cause de l’Union Européenne.

Mais je vous en parlerai une prochaine fois…

 

A votre bonne fortune,

Frédéric Duval

 

Sources :

[1] www.magattewade.com/

[2] https://www.fastcompany.com/1254598/bono-beware-dambisa-moyo-aid-microfinance-and-problem-celebs-africa

[3] www.povertyinc.org/





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