La France rit jaune
Chère lectrice, cher lecteur,
Le mouvement des Gilets Jaunes peut désormais s’inscrire comme un fait marquant de l’Histoire de France.
Je le disais dans ma lettre précédente : je pense que c’est le marqueur de la fin d’une ère politique qui reste encore à articuler.
Car c’est le gros problème du mouvement ainsi que sa plus belle caractéristique : il est spontané et désorganisé.
Une manifestation pas comme les autres
Les manifestations et les révoltes populaires sont des activités régulières en France. Tous les pays du monde en parlent en rigolant.
Cela fait partie des gros clichés : le français est un grognon qui se plaint en permanence et descend dans la rue manifester à tout bout de champ.
Mais à chaque fois ces manifestations avaient un point commun : elles étaient supportées voir initiées par des politiques.
Il y avait une idéologie derrière : conservatisme, socialisme, nationalisme, corporatisme, …
Cette fois, c’est un soulèvement populaire, qui part d’une révolte fiscale mais qui réunit un peu toutes les revendications et les idéologies politiques possibles.
Voilà quelques slogans que l’on a pu voir dans les défilés :
- « Macron Picsou »
- « Aller au travail devient un luxe »
- « Droite, gauche = taxes »
- « Stop au racket, la révolte du peuple puissant peut aboutir à la révolution »
Certains ont tenté de dresser une carte des revendications des Gilets Jaunes et la liste frappe par ses contradictions.
Le peuple veut d’une part que les services de l’Etat augmentent, ce qui demande plus de moyens, et de l’autre que la pression fiscale baisse. On arrive à un calcul impossible : il faut plus et moins de dépenses étatiques. [1]
Mais malgré ces revendications contradictoires, essayons de trouver des lignes communes aux Gilets Jaunes.
Car au lieu de chercher des solutions, essayons déjà de voir le problème !
Les gros problèmes soulignés par les Gilets Jaunes
Je sais que mon exercice est périlleux et il est d’autant plus dangereux de penser qu’on est « neutre » dans une analyse de ce niveau.
Mais voilà les grandes lignes que je perçois :
1 – Une perte de pouvoir d’achat dramatique
C’est à mon avis le premier point.
Les gens n’arrivent plus à vivre malgré leur travail. Quand on a enlevé les impôts et les dépenses obligatoires fondamentales (remboursement des crédits, loyer, impôts), il ne reste presque plus rien.
Certains font appel au secours populaire ou aux restos du cœur pour se nourrir, d’autres se passent de chauffage en hiver…
Comme souvent pour ce genre de révolte populaire : tout part d’un ras-le-bol.
Mais ce qui s’exprime ici c’est aussi la misère de populations à bout.
Beaucoup répètent n’avoir « plus rien à perdre ».
La classe moyenne n’a plus de marge de manoeuvre !
On devrait tous pouvoir mettre un peu d’argent de côté pour pouvoir se prémunir en cas de pépin, pour lancer un projet ou se faire un petit plaisir de temps en temps…
Le travail est dévalorisé alors qu’il devrait être un moyen de se construire.
Le pouvoir de créer son futur et d’avoir un rêve !
L’économiste Philippe Herlin, que nous connaissons bien, a publié cette année un livre choc sur le pouvoir d’achat. [2]
Sa conclusion est claire : contrairement à ce qu’annonce l’INSEE (l’Institut national de la statistique) depuis des années, le pouvoir d’achat des français a globalement baissé depuis la fin des trente glorieuses.
Cela signifie que la France détruit la prospérité des Français depuis environ trente ans.
2 – Une fiscalité confiscatoire
Le mercredi 28 novembre, au moment où les Gilets Jaunes descendaient dans les rues, l’OCDE a publié un rapport concernant la fiscalité. [2]
Il a fait peu de bruits dans les médias alors qu’il apporte un éclairage important sur la situation.
La France est devenue le pays le plus fiscalisé de l’OCDE.
Les recettes fiscales atteignent 46,2% du PIB… soit à peu près un euro sur deux.
Cela signifie que l’appareil étatique gère la moitié de la fortune créée par le peuple français.
En sachant qu’il y a une bonne part d’inactifs (enfants, retraités, …), les travailleurs voient une énorme part de leur travail partir dans les caisses de l’Etat à travers la myriade de taxes et impôts (dont une bonne part est difficile à voir).
Evidemment, l’Etat nous fournit un bon nombre de services indispensables…
Mais le gouvernement prend une part de plus en plus importante de la responsabilité des français (prévoir ses vieux jours, s’assurer contre les imprévus, investir dans une industrie plus profitable, son éducation, etc…). C’est une énorme responsabilité !
Le problème est qu’AUCUN politicien ou bureaucrate ne supporte réellement la responsabilité de ses échecs et mauvaises décisions.
S’il y a une perte ou un manque, on compense avec une nouvelle taxe ou une nouvelle fiscalité plus forte.
Le peuple paie les pots cassés, les gouvernants font à peu près ce qu’ils veulent et sortent même avec les honneurs et de juteuses rentes à vie !
Aujourd’hui cela ne tient plus… la charge fiscale est beaucoup trop lourde sur ceux qui produisent et les services sont perçus comme déficients.
3 – Une séparation entre les élites et le peuple
Avec les affaires Cahuzac, Bettencourt, Paradise Papers, etc… les français ont un énorme sentiment d’injustice.
Je pourrais faire une liste longue comme un jour sans pain des affaires scandaleuses.
Malgré les décennies de promotion de l’Etat social qui visait à réduire les inégalités et donner les mêmes chances à tous les citoyens français, le bilan est terrible : il y a un fossé immense entre les « élites » et le « peuple ».
Pour paraphraser Orwell dans La Ferme des Animaux, « Tous les Hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres » …
Les gens voient que quand on connait les rouages de la machine ou qu’on est du bon côté de la barrière, on peut obtenir moins d’impôt, des pots-de-vin, des avantages légaux, etc…
Le peuple n’a pas accès :
- Aux bons contacts,
- A la connaissance des multiples « niches fiscales »,
- A la mobilité pour sortir les capitaux du pays pour les mettre à l’abris du fisc français.
La majorité du peuple se fait donc saigner à blanc pendant que d’autres se la coulent douce…
Et pire que tout, on se rend bien compte que ces nouvelles taxes ne nous donnent pas grand-chose en échange : elles paient avant tout la mauvaise gestion du gouvernement.
D’un côté on paie de plus en plus, et de l’autre les services publics sont sans cesse rabotés (privatisation des autoroutes, de l’énergie, de la santé…).
On nous faire croire qu’on va sauver la planète avec une hausse du prix des énergies fossiles quand on sait qu’une fraction de cette somme ira effectivement à des causes écologiques.
C’est le foutage de gueule de trop !
4 – Le manque flagrant de démocratie
C’est lié au point précédent.
Les français ne peuvent pas réellement s’exprimer sur les politiques du pays.
Quand ils désavouent les principaux partis du pays, ils se retrouvent avec le même problème !
Ils ont de plus en plus l’impression qu’en réalité il n’y a pas de choix et que la démocratie est un vain mot cachant une oligarchie de fait.
Les gouvernements passent et se ressemblent.
Il y avait un énième espoir avec le bouillonnant Macron qui se disait « ni de droite ni de gauche » …
Mais les Français les moins favorisés ont vite déchanté !
Autre exemple : quand on leur demande leur avis sur le traité de Constitution Européenne par un référendum populaire, celui-ci est ignoré. [4]
C’est étrange car s’il y avait UNE revendication des Gilets Jaunes qui rassemblait tout le monde c’était justement la demande de l’instauration d’un référendum populaire.
Une idée qui revient régulièrement mais qui est étrangement soigneusement évitée.
Pourquoi rien ne change ?
Tout ce que je dis ici n’a rien d’étonnant…
En fait de nombreux politiciens voulaient déjà régler ces problèmes (ou du moins certains d’entre eux).
Mais ça n’a pas fonctionné.
La réalité c’est que la machine politique a des incitatifs qui vont justement dans le sens contraire de la résolution de ces problèmes.
J’ai déjà évoqué le manque de responsabilité, qui est déjà une cause importante.
Je parlerai plus en détails lors de mon prochain article des autres mécanismes qui agissent contre la réforme de notre pays.
Et croyez-moi… il y en a beaucoup !
Demain, une bonne partie du peuple sera à nouveau dans la rue… et je m’inquiète clairement de la tournure des événements.
Je partage d’ailleurs l’avis et le soucis du sénateur Claude Malhuret, président du groupe des Indépendants qui dresse un portrait dur mais réaliste de la France en attaquant autant les manifestants que le gouvernement et la classe politique. [5]
À votre bonne fortune,
Frédéric Duval
Sources :
[1] http://h16free.com/2018/12/05/
[2] https://www.lettre-strategie-
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