Vénézuela : le gouvernement des zéros
La semaine passée nous parlions de la Turquie et de sa crise monétaire récente. Après l’investissement massif du Qatar et les annonces de la BCE, la crise semble être contenue mais les réformes politiques se font encore attendre pour les turcs.
On est loin de la gravité du cas du Venezuela avec une inflation qui a dévasté son économie. Aujourd’hui, les gens font la queue pour payer par brouettes des produits de base rationnés.
On ne compte plus la monnaie, on pèse les liasses de billets où on les recycle pour en faire des sacs et des portemonnaies que l’on vend aux rares touristes qui s’aventurent encore dans le pays à la criminalité la plus élevée d’Amérique du Sud.
Mais le gouvernement Maduro a trouvé une solution : supprimer les zéros de ses billets.
Il a bien cerné le problème mais ce n’était pas sur les billets qu’il fallait les retirer… mais dans son gouvernement.
Nous avons ici un régime qui est passé d’un des plus prospères d’Amérique du Sud à l’un des plus pauvres en l’espace de deux décennies.
Assis sur les plus grosses réserves de pétrole du monde, le pays doit aujourd’hui en importer pour sa propre consommation !
Comment un régime politique qui se voulait « du peuple », inventant le « socialisme du XXIe siècle » a pu, en vingt ans, avoir un bilan aussi désastreux ?
Evidemment, nous ne pouvons pas compter sur l’extrême gauche pour nous expliquer cette faillite. Selon leurs réactions, vous pouvez cependant comprendre à quel stade de faillite le pays en question se trouve.
Selon mes observations, on retrouve 4 stades dans l’évolution de leurs soutiens aux pays socialistes :
- Stade 1 : le soutien indéfectible : C’est un exemple pour le monde
- Stade 2 : le complotisme : C’est la faute à la CIA/US/Nestlé/FMI/OPEC, etc…
- Stade 3 : la relativisation : Ce n’est pas parfait mais…
- Stade 4 : le déni : C’était du capitalisme et pas du vrai socialisme.
On retrouve ces étapes avant la chute de l’URSS, Mao, Cuba, etc… Si vous ouvrez les journaux vous devriez deviner dans quel stade nous nous trouvons pour le Venezuela aujourd’hui.
L’Humanité en 1953, le premier stade peut durer longtemps pour certains.
Les pavés de bonnes intentions
Le régime Chaviste commence en 1998 à partir de la révolte populaire locale, menée par des révolutionnaires communistes contre un gouvernement corrompu et oppressif.
Les premières mesures sont typiques d’un mouvement communiste : nationalisation des grandes entreprises et expropriation des grands propriétaires avec une augmentation drastique des dépenses publiques.
On retrouve chaque fois la même rhétorique de lutte des classes et réappropriation des outils de production par les ouvriers.
Chavez et son gouvernement, dans leur bonté d’âme, décident de redistribuer également les revenus du pétrole à la population. Traduction : « les revenus vont à l’Etat et sa bureaucratie qui achète la population par des aides diverses tout en s’engraissant largement au passage ».
Le résultat s’est vite fait sentir avec une chute drastique de la production et des investissements.
Le pétrole n’est pas en reste. Malgré sa grande valeur, le régime chaviste réussit à faire chuter sa production (la chute de son prix n’interviendra qu’en 2014, à la mort de Chavez).
Par conséquent, les prix des biens augmentent et que répond le gouvernement ? « les capitalistes des magasins proposent des prix injustes, il faut imposer des prix justes ! »
Résultat ? Le pain et le lait au lieu d’être trop chers deviennent inexistants. C’est la pénurie et ses attentes infinies.
Les incitatifs de la hausse des prix qui permettaient de pousser les gens à augmenter la production sont supprimés par le régime. Face à des prix rabaissés artificiellement, les rares entreprises restantes couvrent tout juste leurs frais et n’investissent plus… ou arrêtent tout.
Quand l’engrenage s’enclenche et qu’on a un seul logiciel de pensée basé sur le fait que l’Etat doit gérer le moindre détail de la société, on peut continuer sans cesse…
L’arme ultime de l’interventionnisme reste la politique monétaire !
Dans les états occidentaux, malgré pas mal de controverses, on s’entend sur le fait qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec la monnaie. Il faut dire que nous avons eu quelques expériences dans notre histoire.
Cela ne nous empêche cependant pas de renouveler l’expérience assez régulièrement…
Mais dans l’esprit socialiste, la monnaie n’est qu’un outil du pouvoir et dans des bonnes mains non-bourgeoises (comprendre : celle du gouvernement socialiste), il peut servir à rabaisser les inégalités et fournir des biens de base à la population au lieu de maintenir les « structures oppressives de la finance capitaliste ».
Résultat ? Tous ces services gratuits promis par le régime socialiste sont plus dégradés et encore moins accessibles qu’au temps où ils étaient payants. Les médicaments de base, des préservatifs jusqu’au papiers toilettes se vendent sur le marché noir à prix d’or.
La population se retrouve démunie, affamée et avec des maladies du Moyen-âge comme le paludisme, la dengue et la diphtérie que l’on croyait éradiquées.
Et l’inégalité a-t-elle baissée ? Oui dans les premières années… mais lorsque les conséquences de la nationalisation, de l’administration des prix et de l’inflation se fait sentir, c’est l’effet inverse qui se produit.
En lieu et place du marché, c’est la corruption qui vient déterminer qui sont les grands propriétaires. Les anciens riches font place à de nouveaux riches : les princes de la politique et de la corruption.
Sauve-qui-peut
La suppression des zéros sur les billets, les files d’attentes et la violence répressive sont les parties visibles, médiatisées, de la situation du Venezuela.
La réalité est que les gens essaient de s’en sortir par tous les moyens en dehors ou en parallèle du système.
Un des moyens les plus sûrs de se préserver de l’inflation est de sortir son argent des banques et de le convertir en une monnaie plus stable. Cependant afin d’éviter le « bank run » le gouvernement n’autorisait le change que pour les étrangers et les voyageurs.
Résultat ? Tout le monde s’est rué sur les billets d’avions afin de pouvoir accéder aux bureaux de change. Des avions circulèrent avec une occupation de 20 à 30% malgré le fait que tous les billets avaient été vendus.
L’autre moyen, plus étonnant dans un pays aussi pauvre, fut l’explosion de l’utilisation des cryptomonnaies tel que le Bitcoin.
De nombreuses personnes se sont mises également à revendre les biens « socialisés » à l’étranger. Typiquement, le pétrole a été vendu à des prix artificiellement bas par le régime auprès de sa population afin de leur « apporter la prospérité ».
Résultat ? Malgré une lutte intensive contre la contrebande, des milliers de petits entrepreneurs vénézuéliens revendent le pétrole en Colombie malgré tous les risques encourus pour traverser les rivières et les forêts avec des jerricanes sur le dos.
Finalement, il ne reste qu’une véritable solution : l’émigration et c’est ce qu’ont fait 2 millions de Vénézuéliens depuis 1999.
Chavez et Maduro ont passé leurs vies à dénoncer les Etats-Unis, le « capitalisme » ou l’économie dite « néo-libérale ». Ils ont appliqué avec force le programme socialiste visant la réappropriation des facteurs de production par la population.
Ils voulaient donner l’accès à l’eau, à la médecine et à toute une série de services dits « de base » à la population. Ils voulaient un régime non-violent et démocratique qui respectaient les citoyens.
Ils ont échoué à tous les niveaux et aujourd’hui les Etats-Unis sont la première destination des migrants vénézuéliens.
Celui qui se disait « fléau de l’oligarchie et héros des pauvres » aura augmenté leur nombre (55% de la population selon les dernières recherches de l’université de Caracas, dont 23% dans une situation précaire d’extrême pauvreté) et créé un réseau mafieux où les proches du pouvoir (dont ses enfants) sont les seuls véritables gagnants.
Dénoncer les bêtises économiques du régime vénézuélien est un devoir de toute personne sensée. Nous n’avons pas besoin d’être bourgeois, pro-américain ou riche banquier pour le faire, simplement de comprendre les bases fondamentales des échanges économiques entre les personnes.
Le régime chaviste a creusé lui-même sa propre tombe. Les baisses de prix du pétrole intervenus en 2014 n’ont fait qu’accentuer la chute déjà largement amorcée sous Chavez.
Frédéric Duval
Le vaillant petit économiste
Source :
https://www.barril.info/fr/actualites/venezuela-1998-2018-le-pays-des-fractures
Laisser un commentaire